RDC : Libérer le potentiel des femmes afin de résoudre le paradoxe de l’insécurité alimentaire (Tribune de Dr. John M. Ulimwengu et Prof. Annie Kinwa Muzinga)

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PAR Deskeco - 12 mar 2024 08:03, Dans Actualités

La République démocratique du Congo (RDC) fait face à de nombreux défis d’ordre économique et politique. En comparaison aux autres pays d’Afrique, le pays est parmi les moins bien classés aussi bien en matière d’indice du développement humain que d’indice de la faim dans le monde ou encore d’indice d’inégalité entre les sexes. Les femmes subissent de profondes discriminations juridiques et sociales en matière d’accès aux terres, d’éducation et de crédit.

En outre, les femmes de la RDC subissent le plus haut degré de violence sexuelle dans le monde, aussi bien de la part de ceux qui se trouvent en position d’autorité que de leurs partenaires intimes. Ainsi, l’un des plus grands défis en RDC aujourd’hui est de trouver les moyens d’autonomiser les femmes sur le plan politique, social et économique.

 Contraintes 

Par rapport aux hommes, les femmes ont un accès plus limité aux opportunités qui permettent de vivre une vie satisfaisante et productive, à commencer par l’éducation. Alors que 80 % des femmes vivant en milieu urbain sont alphabètes, seuls 41 % des femmes vivant en milieu rural savent lire. Les données révèlent également que, toutes provinces comprises, 42 % des familles dirigées par une femme n’avaient atteint qu’un niveau d’instruction minimal ou n’avaient suivi aucune instruction, contre 11 % des ménages dirigés par un homme. Les entretiens menés avec des informants clés ont permis de révéler que l’analphabétisme parmi les agriculteurs, et en particulier parmi les agricultrices, représentait un obstacle majeur à l’adoption de technologies et au développement du secteur agricole.

Les ménages dont le chef de famille est une femme et ceux composés uniquement de femmes adultes possèdent beaucoup moins d’actifs. La majorité des ménages dont le chef est une femme appartient au quintile le plus pauvre, alors que les ménages dont le chef est un homme sont répartis de manière plus équilibrée à travers les différents quintiles. Enfin, c’est parmi les enfants des ménages possédant le moins de richesses et d’actifs (ex : électricité, radio, téléphone mobile et bicyclette) que le taux de retard de croissance et d’insuffisance pondérale est le plus élevé.

Les principales lois et politiques de la RDC sont parfois incohérentes vis-à-vis des droits et des opportunités des femmes La loi autorise les femmes à posséder des terres mais, en milieu rural, les politiques de décentralisation confèrent la responsabilité de déterminer leurs droits aux conseils des aînés et aux pouvoirs locaux, dont les intérêts vont souvent à l’encontre de l’accès équitable aux terres pour les femmes. Un autre exemple est celui du mariage, qui demeure légal pour les jeunes filles de quinze ans, même si la loi prévoit que tout rapport sexuel avec une mineure de moins de 18 ans est considéré comme un viol.

Il existe un écart entre les politiques des ministères du gouvernement et les autres organisations, et la mise en application de ces politiques au sein des organisations. Notre enquête a révélé que, même si près des deux-tiers (63 %) des agents de liaison attachés aux questions de genre signalent que leur organisation dispose d’une politique en matière d’égalité des sexes, ces politiques sont rarement appliquées . La plupart des organisations coordonnent mal leurs activités relatives au genre et manquent de financements et d’autres ressources, si bien que les agents de liaison attachés aux questions de genre exercent rarement une influence suffisante pour façonner les activités des organisations dans lesquelles ils travaillent.

Au sein du service public de vulgarisation, le personnel vieillit et la plupart des organisations sont inactives. Environ 60 % des 154 agents de vulgarisation interrogés ont plus de 50 ans. La moitié de l’échantillon de 107 organisations de vulgarisation comprises dans l’étude ont déclaré qu’elles n’avaient diffusé ou promu aucune technique agricole au cours des deux dernières années. Une part encore plus importante d’organismes gouvernementaux n’avaient promu ou diffusé aucune technique auprès des exploitants agricoles au cours des deux dernières années.

Les organisations féminines peuvent être de bons points d’entrée pour augmenter le poids des femmes dans la prise de décision et améliorer les moyens de subsistance répondant aux besoins de femmes. La littérature montre que la participation des femmes à des groupes mixtes et à des postes de direction est importante dans l’accès aux ressources et à l’information, dans l’établissement de contacts et l’obtention d’assistance et de soutien de la part des membres masculins. Dans les cas où la mise en place de groupes mixtes était impossible ou difficile pour des raisons culturelles, l’organisation des femmes en groupes d’auto-assistance peut leur offrir un grand potentiel et leur permettre d’avoir une interaction entre elles, d’obtenir des informations utiles, d’accroître leur capital social, de gagner en confiance et en compétences, et d’améliorer leurs moyens de subsistance. 

Sur les 181 organisations de producteurs agricoles (OPA) étudiées, 71 % étaient des groupes mixtes et la part de femmes y participant était en moyenne de 45 % (de 5 % à 93 %). La répartition hommes-femmes parmi les membres est assez équilibrée, mais ce n’est pas le cas en ce qui concerne les postes de direction, où il existe un déséquilibre en défaveur des femmes.

 Opportunités 

Malgré les contraintes énumérées plus haut, la RDC peut également saisir les opportunités suivantes pour s’attaquer aux inégalités de genre et améliorer la vie des femmes :

Des approches innovantes sont nécessaires pour atteindre les producteurs et productrices pauvres. L’évolution dans les services de vulgarisation et de consultation dans le monde suggère l’utilisation de nouvelles approches pour atteindre aussi bien les exploitantes que les exploitants agricoles (par exemple, une application accrue des technologies de l’information et de la communication (TIC). Mais les TIC en faveur des pauvres doivent tenir compte du manque de ressources financières chez les femmes pour payer les TIC, de leurs taux d’illettrisme plus élevés, et des normes et des facteurs culturels qui les découragent d’utiliser la technologie.

La RDC est riche en groupes et d’associations de femmes. Ceux-ci peuvent être soutenus et renforcés pour améliorer la qualité et l’efficacité des services et des avantages fournis aux femmes et à leurs familles. Les qualités de leadership des femmes doivent être renforcées ; et le soutien des dirigeantes au sein des groupes mixtes peut également constituer une stratégie importante, étant donné que ces groupes peuvent mieux accéder aux services et aux opportunités que les groupes composés uniquement de femmes.

L’éducation primaire peut être un point de départ pour augmenter les opportunités des jeunes filles. L’engagement de l’État de garantir la présence d’une école primaire dans chaque village est un pas important dans ce sens. 

La forte influence des bailleurs de fonds dans la planification agricole en RDC représente un point d’entrée pour la promotion de l’égalité de genre. La sensibilité au genre constatée dans la conception de la plupart des projets agricoles lancés et financés par les bailleurs de fonds est un bon point de départ, mais les objectifs de suivi et évaluation devraient se concentrer sur des résultats de développement plus concrets, tels que des changements au niveau des revenus chez les producteurs et les productrices, ainsi que la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages, plutôt que de se limiter au nombre de bénéficiaires ou au nombre de participants de chaque sexe.

 Planification équitable entre les sexes dans secteur agricole 

La conception des projets peut être améliorée en vue de garantir que les femmes en bénéficient pleinement. En RDC, des besoins particuliers ont été exprimés, notamment :

• La formulation de services financiers visant à répondre aux besoins des femmes en matière d’épargne et de crédit, et à permettre aux petits entrepreneurs de développer leurs entreprises dans le secteur agricole.

• L’étude d’une planification multisectorielle afin de réduire la violence liée au genre et de fournir des services d’aide aux victimes de violence sexuelle, en particulier dans les zones à fort potentiel agricole.

• Le renforcement de la capacité des ménages à gérer de multiples entreprises agricoles afin de répondre aux besoins alimentaires et financiers.

• La garantie de l’accès des femmes aux actifs de production par la suppression des incohérences de la législation, et la garantie de la mise en œuvre des lois offrant des opportunités aux femmes

• L’amélioration des connaissances, tant chez les hommes que chez les femmes, des choix alimentaires nutritionnels

• L’encouragement d’une participation équitable aux processus de prise de décision à tous les niveaux (par exemple, les organisations communautaires et le gouvernement local)

• La collecte et l’analyse de données ventilées par sexe concernant tous les aspects de la participation des hommes et des femmes aux chaînes de valeurs agricoles

Dr. John M. Ulimwengu

Prof. Annie Kinwa Muzinga

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