Blocage du dossier de la production de 1.500.000 permis de conduire par l’hôtel des monnaies : un manque à gagner de 90 millions de US$ pour le trésor public : A qui la faute ?

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PAR Deskeco - 27 aoû 2020 14:40, Dans Analyses

Par Prof. Florimond MUTEBA TSHITENGE,

Président du Conseil d’Administration de l’ODEP

Depuis le 17 août, l’administration congolaise et la société civile se sont réunis en conférence budgétaire. La grande priorité dans cet exercice était la mobilisation des recettes qui déjà s’annonce difficile pour l’année en cours et encore plus difficile en 2021. La gestion de l’après COVID et les faiblesses structurelles liées à la corruption, au coulage des recettes et aux exonérations fantaisistes qui font perdre à la RDC 5 milliards de dollars chaque année, sont des grandes faiblesses qui n’augurent pas de lendemains meilleurs

C’est dans ce contexte que se situe la problématique de la production par l’Hôtel des monnaies de notre Banque Centrale de 1.500.000 permis de conduire dont le dossier est présentement bloqué.

En faisant le décompte, le marché étant à préfinancement par la Banque Centrale du Congo, l’Etat congolais sera gagnant à l’issu de la vente de ces 1.500.000 permis de conduire. Les recettes attendues pour 2021 si le contrat est signé seraient de US$ 90.000.000 pour l’équivalent de CDF 186.010.000.000 pour un seul acte générateur des recettes.

Au regard de la carence du permis de conduire sur toute l’étendue du territoire national, les 1.500.000 permis de conduire peuvent être consommés en une année. Le projet de contrat prévoit également la voie d’avenant. Donc, la vente peut aller au-delà. Les 90.000.000 peuvent être le minima.

Comment en sommes-nous arrivés à un tel blocage qui va contre les intérêts nationaux. Ci-dessous la chronologie des événements.

2013 :

  1. Faisant suite aux objectifs de réforme enclenchés dans le secteur des Transports et de Communication, qui consistaient essentiellement à prévenir et sécuriser les usagers de la route contre les accidents de circulation routière, adapter le permis de conduire au standard international, et à accroître les recettes, au profit du Trésor public, plusieurs séances dc travail avaient réuni les experts des Ministères et Services concernés par ce projet ainsi que ceux de l’Hôtel des Monnaies.
  2. Au cours de ces travaux qui avaient réuni les experts du Gouvernement et l’Hôtel des Monnaies, ce dernier avait conçu deux modèles de permis de conduire, dont l’un à puce apparente et l’autre non apparente, tous dotés de 22 éléments de sécurité, incorporés dans un support polycarbonate et gravés au rayon laser, conformément aux normes internationales de l’OACI, à la satisfaction de tous les participants, et n’attendait que la notification du Gouvernement, à l’effet d’entamer le processus de la production du permis de conduire biométrique sécurisé.

2014 :

  1. Alors que l’Hôtel des Monnaies attendait la notification du Gouvernement, le Ministère des Transports et de Communication va solliciter, par sa lettre n°129/CAB/MIN/TVC/2014 du 07 février 2014, à la DGCMP, l’autorisation de conclure un marché de gré à gré avec cette imprimerie nationale, pourtant bénéficiaire du monopole de la production des imprimés, en vertu de la Circulaire n°009/CAB/MIN/FINANCES/2011 du 21 octobre 2011 du Ministre des Finances, relative à la gestion des imprimés de valeur et administratifs et de la lettre n°2003/2009 du 27 décembre 2009, de Monsieur le Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat.
  2. Dans le but d’écarter l’Hôtel des Monnaies de la Banque Centrale du Congo, la Vice Primature des Transports et de Communication va obtenir à la DGCMP, l’autorisation de conclure par Appel d’offre International Restreint, nonobstant le monopole de production des imprimés de valeur que cette imprimerie détient.
  3. C’est qui justifie la motivation de l’Appel d’Offre International Restreint (DAOIR) n°AOIRN/CAB/MIN.TVC/003/2016, par le Ministère des Transports et de Communication, dont le résultat de la Sous-commission d’Analyse relevait qu’aucune firme n’avait réuni les conditions techniques et financières, pour produire les permis de conduire biométrique.

2017 :

  1. Au regard de la recrudescence de faux et usage de faux observée dans la production et délivrance parallèle des permis de conduire, aussi bien à Kinshasa qu’en provinces, le Ministère des Finances s’était proposé, par sa lettre n°CAB/MIN/FINANCES/CMR/NGMI/2017 du 18 février 2017, adressée à la Vice-Primature des Transports et de Communication, de placer la commande des permis de conduire biométriques à l’Hôtel des Monnaies.

En réaction à la lettre précitée, Son Excellence Monsieur le Premier Ministre, par sa lettre n°CAB/PM/DC/HD/2017/1023 du juin 2017, avait instruit le Ministre des Finances d’accélérer, toutes affaires cessantes, la commande des permis de conduire à l’Hôtel des Monnaies. Et par la même occasion, le Premier Ministre instruisait à ce aux Transports et Voies de Communications, de se conformer à la Circulaire n°009/CAB/MIN/FINANCES/2011 du 21 octobre 2011, relative à la gestion des imprimés de valeur et administratifs.

  1. Contre toute-attente, et en violation de l’instruction du Premier Ministre, la Vice-Primature des Transports et de Communication intervient, à travers un Communiqué Officiel n°004/2017 du 16 septembre 2017, pour’informer l’opinion publique d’une part, de la mise en circulation imminente des permis de conduire «véritablement biométriques », sur toute l’étendue de la République Démocratique du Congo, et d’autre part, de la suspension de l’opération de délivrance de ce titre. Aussi, une Commission chargée de la Commission de passation des marchés publics au sein du Ministère des Transports et de Communications venait d’être mise en place, pour recruter un partenaire dans le cadre de partenariat public-privé, aux fins de la production du permis de conduire biométriques.
  2. De part ce Communiqué, la Vice-Primature des Transports et de Communication a voulu mettre en œuvre le Protocole d’accord signé avec les firmes précitées.
  3. Cette démarche violait ainsi la Circulaire Ministérielle n°009 précitée ainsi que les instructions contenues dans la lettre n°2003/2009 du 29 décembre 2009, de Monsieur le Directeur de Cabinet du chef de l’Etat, confiant le monopole de la production de des imprimés de valeur et administratifs à l’Hôtel des Monnaies de la Banque Centrale du Congo.
  4. Par ailleurs, il convient de souligner qu’à part «l’imprimé permis de conduire », tous les autres imprimés de valeur et administratifs du secteur des Transports et de Communication, sont produits, depuis 2010, par l’Hôtel des Monnaies, à la satisfaction des services dudit Ministère.
  5. Ainsi, étant donné que les imprimés susdits, qui sous-tendent la perception des droits, taxes et redevances du Pouvoir Central, revêtent un caractère stratégique pour l’Etat, conformément aux articles 44 et 45, de la Loi relative aux Marchés Publics relatifs aux marchés spéciaux, le Ministère des Finances, en sa qualité d’Ordonnateur Général des recettes du Pouvoir central, avait sollicité du Premier Ministre son implication afin que le permis de conduire, document de souveraineté, soit produit localement.

2018 :

  1. En 2018, en exécution des instructions du Premier Ministre, contenue dans sa lettre n°CAB/PM/DC/HD/2017/1023 du juin 2017, le Ministre des Finances a sollicité de la DGCMP, une autorisation spéciale pour recourir à une entente directe avec le Fournisseur, conformément aux articles 41, 42 et 43 de la Loi n° 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics;
  2. La DGCMP a, au regard de l’urgence suite à la carence de permis de conduire et du caractère infructueux de la procédure antérieure, accordé une autorisation spéciale pour la passation de ce marché, par entente directe, entre les Parties (Gouvernement et Banque Centrale).
  3. Dans le processus de ce marché, le Ministre des Finances avait convoqué la Commission Mixte Permanente chargée de la collecte des besoins en imprimés de valeur (la Commission) qui s’était réunie du 28 mai au 07 août 2018, à la Banque Centrale du Congo, aux fins d’apprêter les documents contractuels devant définir les droits et obligations de l’Etat et de la Banque Centrale dans le cadre de la production, d’une part, des permis de conduire biométriques et, d’autre part, des imprimés de valeur et administratifs.

DE LA MISE EN PLACE D’UNE COMMISSION

  1. C’est ici qu’il convient de souligner qu’au regard de la délicatesse des matières à examiner, la réunion de la Commission a été élargie, pour la circonstance, aux experts des Transports et Communication, de la Banque Centrale du Congo ainsi que ceux des Finances.
  2. Les délégués du Ministère des Transports et Communications ont été invités dans le cadre de l’élaboration et l’adoption du projet de contrat relatif aux permis de conduire.
  3. A l’issue de ces travaux, les experts ont produit un projet de contrat relatif à la production des permis de conduire.

2019 :

  1. Ces documents avaient été soumis à la DGCMP, à l’effet d’obtenir l’avis de non objection, avant la signature du contrat. Il convient de souligner à cet effet que la DGCMP avait accordé cette autorisation.
  2. Y faisant suite, le Gouverneur de la Banque Centrale du Congo et le Ministère des Finances ont respectivement apposé leur signature à l’exception du Ministre des Transports qui n’avait pas signé.

2020 :

  1. Sur instruction du Premier Ministre, les experts du Gouvernement ont travaillé sans désemparer pour retoucher le contrat de production, en prenant en compte les observations du Ministère des Transports et communication. Le rapport adressé au Ministre des Transports, pour disposition, est joint en annexe.
  2. Une fois de plus, le Ministre des Transports va saisir de nouveau le Premier Ministre pour recourir à un partenariat public privé. Depuis lors, le dossier reste bloqué.

EN CONCLUSION

La démarche du Ministre des Transports vise d’autres intérêts que ceux du pays et de la population. Un contrat privé c’est la porte ouverte à des plantureuses rétro-commissions.

Nous appelons au patriotisme du Président de la République et à celui du Premier Ministre pour débloquer ce dossier, en ces moments difficiles que traverse notre pays et où aucune recette potentielle ne devrait être négligée.

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