Combler la fracture numérique pour amplifier la reprise après la crise de la COVID-19

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PAR Deskeco - 09 nov 2020 10:13, Dans Analyses

 

Ces dernières années, la transformation numérique a permis aux pays en développement de bénéficier d’un meilleur accès aux services financiers. Le Kenya, le Ghana, le Rwanda et la Tanzanie ont ainsi réalisé de grands progrès en connectant leurs populations aux systèmes financiers grâce aux téléphones mobiles.

Le recours au numérique apparaît comme une bouée de sauvetage en cette période où le monde entier lutte contre la pandémie de COVID-19 en imposant la fermeture des frontières, des couvre-feux, des mesures de confinement et d’autres restrictions de déplacement. Les divertissements et les achats en ligne, les services financiers numériques, les réunions et les événements virtuels occupent désormais une place centrale dans la vie et les moyens de subsistance de la population à l’échelle mondiale.

Solutions numériques

Dès le début de la pandémie, les dirigeants ont adopté des mesures d’urgence pour soutenir et faciliter les activités numériques. La Banque centrale du Kenya a supprimé les frais sur les transactions monétaires mobiles et a diminué leur montant minimum. Cela a entraîné une hausse importante du montant et du nombre de ces transactions, généralement d’un maximum de 10  dollars, et contribué à protéger les ménages les plus vulnérables tout en attirant plus de 1,6 million de clients supplémentaires. Le Rwanda a supprimé tous les frais en mars 2020. Dès la fin avril, la valeur hebdomadaire de l’ensemble des transactions sur mobile était supérieure de 450 % à celle d’avant la pandémie.

Les entreprises ont également réagi rapidement pour tirer avantage des technologies numériques. En Chine, la société Ant Group s’est associée à plus de 100 banques pour lancer l’initiative Contactless Loans (prêts sans contact) destinée à aider les petites et moyennes entreprises à se redresser après la crise de la COVID-19. Au Brésil, la banque centrale met actuellement en place le système de paiement instantané PIX, qui devrait se généraliser dans le pays au cours du mois de novembre. En Inde, Riskcovry, start-up de Mumbai, a créé une police d’assurance spéciale coronavirus pour les entreprises qui veulent prendre en charge les frais d’hospitalisation de leurs employés et couvrir leurs pertes de salaires.

Le hasard veut que depuis 18 mois, dans le cadre du groupe de travail sur le financement numérique des objectifs de développement durable lancé par le Secrétaire général des Nations Unies, nous examinons comment la transformation numérique peut concourir à résoudre les problèmes de développement les plus urgents dans le monde. La COVID-19 a donné encore plus de poids à notre mandat. La pandémie freine la mise en œuvre des objectifs de développement durable, en particulier dans la santé et l’éducation. Il sera impératif de la relancer pour parvenir à une reprise mondiale.

Comment le passage au numérique peut-il être utile ?

Nous avons trois recommandations à partager. Premièrement, placer les populations au centre du système financier mondial. Le passage au numérique doit répondre aux besoins des gens et œuvrer en leur faveur. En 2017, le Kenya a par exemple lancé une obligation commercialisée sur mobile baptisée M‑Akiba, pour financer l’État à l’aide de micro-investissements démarrant à 30 dollars. Il est important de noter que 85 % des investisseurs ont participé pour la première fois au marché obligataire public avec cette opération.

Deuxièmement, connecter les citoyens pour atténuer la fracture numérique. Plus de 700 millions de personnes n’ont pas accès au haut débit et plus d’un milliard ne possède pas d’identité officielle. Les pays doivent investir dans les infrastructures et l’identification numériques pour que leurs citoyens puissent accéder aux services en ligne, et y associer des investissements dans le développement des compétences en calcul et des connaissances financières. La coopération internationale devra appuyer ces efforts. Le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d’autres organisations internationales travaillent avec les secteurs publics et privés du monde entier pour aider les pays.

Troisièmement, affermir la gouvernance des plateformes financières numériques mondiales. Les fameuses « Big Tech », ces entreprises géantes du secteur du numérique, transforment les prestations de services dans le monde entier, y compris dans les pays en développement. La COVID-19 accélère cette tendance en leur donnant la possibilité de pénétrer encore davantage dans la vie de tous. Les pays en développement ne sont toutefois pas invités à la table des négociations sur la gouvernance de ces plateformes. Le dialogue sur la gouvernance de la finance numérique mondiale représente à cet égard l’une des principales initiatives du groupe de travail. Il vise en effet à faciliter l’instauration d’une concertation plus équilibrée et plus inclusive, en impliquant tout particulièrement les pays en développement, sur la façon de mettre la gouvernance des Big Tech davantage en adéquation avec les objectifs de développement durable.

À plus long terme

Alors que nous construisons ce pont numérique vers le futur, nous ne devons pas oublier les risques qui en découlent. La cybersécurité ainsi que la confidentialité et la sécurité des données constituent les menaces les plus graves pour les personnes vulnérables qui utilisent les services numériques pour la première fois. Nous devons atténuer ces risques et protéger leurs données et leur argent, qu’elles ont durement gagné.

La crise de la pandémie nous offre la possibilité d’améliorer la vie et les moyens de subsistance des populations. Les pouvoirs publics, le secteur privé, les organisations internationales et les citoyens doivent relever le défi d’intensifier le passage au numérique et d’oser faire changer les choses. Le moment est venu !

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Patrick Njoroge est le neuvième gouverneur de la Banque centrale du Kenya. Il a pris son poste le 19 juin 2015 après avoir travaillé 20 ans au Fonds monétaire international, où il a été conseiller auprès de la directrice générale adjointe à partir de décembre 2012. À ce titre, il a notamment aidé à superviser la mission du FMI auprès d’un grand nombre de ses membres. Il a également exercé les fonctions de chef de division adjoint au département financier (2006-2012) et de chef de mission pour le Commonwealth de la Dominique (2005-2006), après avoir rempli différentes fonctions à son arrivée en 1995. Il avait auparavant travaillé en tant qu’économiste au ministère des Finances (1993-1994) et agent de la planification au ministère de la Planification (1985-1987), au Kenya.

M. Njoroge est titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Yale (1993), ainsi que d’une maîtrise (1985) et d’une licence (1983) en économie de l’université de Nairobi. La macroéconomie, la politique économique, la finance internationale, l’économie du développement, l’économétrie et la politique monétaire figurent parmi ses centres d’intérêt professionnels et de recherche.

M. Njoroge a commencé son deuxième mandat de quatre ans à la Banque centrale du Kenya en juin 2019. Le Secrétaire général des Nations Unies, M. Antonio Guterres, l’a nommé au sein du groupe travail sur le financement numérique en novembre 2018.

Ceyla Pazarbasioglu est directrice du département de la stratégie, des politiques et de l’évaluation du Fonds monétaire international. En cette qualité, elle dirige les activités d’orientation stratégique du FMI ainsi que la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de ses politiques. Elle supervise également les interactions du FMI avec certains organismes internationaux, tels que le G-20 et les Nations Unies.

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