Taux de change en baisse, prix des biens et services toujours en hausse : Comment ce décalage est vécu au marché Zando

Bokassa
Des marchands et des passants à Zando. Photo Deskeco
PAR Deskeco - 24 sep 2025 13:56, Dans Finances

« La Banque centrale a procédé à un ajustement du niveau des réserves obligatoires tandis que le Gouvernement a poursuivi un resserrement budgétaire, notamment par la bonne gestion des échéances fiscales. Cette coordination a permis au franc congolais de se raffermir », a annoncé le gouvernement de la RDC ce mardi 23 septembre, à travers le ministre de l’Économie, Daniel Mukoko Samba.

Au marché central de Kinshasa « Zando », la nouvelle est accueillie avec une ironie amère. Dans la fournaise de près de 30 °C, entre les cris des vendeurs, une seule loi semble encore régner : celle de la vie chère, insensible aux annonces gouvernementales. L'équipe de Deskeco est allée comprendre pourquoi la baisse du taux de change ne se traduit pas dans le portefeuille des Kinois.

Sapa Fils, tenancier d’une petite boutique de fortune, comme beaucoup de Kinois, affirme avoir constaté la baisse du taux de change chez les changeurs de monnaie, dont certains sont juste en face de son point de vente.

« En face, ils changent aujourd’hui 1 dollar américain pour 2700 FC. Alors qu’en début de semaine passée, c’était un dollar pour 2800 FC ».

Selon lui, cette baisse est sans impact. « S’il y avait réellement baisse, le savon “Le Coq” que j’achète dans les magasins à 500 FC pour revendre à 600 FC devrait se négocier même à 300 FC dans le magasin et moi je pourrais le revendre à 400 FC, ce qui n’est pas le cas ».

Il qualifie les déclarations du gouvernement de « simples spéculations ». 

« Pour que j’accepte qu’il y ait baisse du taux de change, un dollar devrait se négocier à 2000 FC. Comme ça, les vendeurs devraient à leur tour réajuster les prix de leurs biens », lance-t-il.

La petite boutique de Sapa Fils

« Chacun fixe le taux à sa manière »

« Ils disent qu’il y a baisse, mais quel est le taux réel ? », s’interroge Tshikose, rencontré devant son chariot.

« Si vous regardez les tableaux d’affichage des changeurs de monnaie, ils ont simplement écrit “2”. Comment saurez-vous à quel taux ils changent ? Chacun fixe à sa manière et le gouvernement ne dit rien », dit-il.

Contacté à ce sujet, Tiro, un changeur de monnaie sur l’avenue Bokassa, affirme fixer le taux selon son tempérament et parfois selon le jugement subjectif qu’il fait du client en face de lui.

« La semaine passée, je changeais à 2850 FC pour un dollar. Aujourd’hui, depuis ce matin, j’ai changé entre 2700 et 2750 FC pour un dollar », confie-t-il à Deskeco.

Il dit toutefois vivre les mêmes réalités que tous les Congolais et déverse sa colère sur les dirigeants.

« Moi, je suis père de quatre enfants, j’éprouve beaucoup de difficultés pour les nourrir et les scolariser. Je ne sais pas si nous avons réellement un président ou bien si ce pays est réellement dirigé. Nous souffrons trop. »

Coint de change de monnaie. Photo deskeco

Pas de contrôle sur les prix des biens

Un motocycliste (“Maniema”) regrette quant à lui que les services de l’État n’effectuent aucun contrôle sur l’application des mesures du gouvernement sur le terrain.

« Aujourd’hui, nous sommes pourchassés ici à Gombe ; notre seule infraction est d’avoir conduit la moto ici. Ils le font avec acharnement. Mais ils ont dit qu’il y a baisse du taux de change, pourquoi ne s’engagent-ils pas avec la même énergie pour qu’il y ait baisse des prix sur le marché ? C’est ce que doivent faire les services de l’État, plutôt que de s’acharner sur des jeunes gens sans emploi et qui se débrouillent pour nourrir leur famille », lâche-t-il en colère.

Pourquoi les prix des biens ne baissent-ils pas ?

Pour répondre à cette question, nous avons contacté Christian Lukombo, économiste de formation et chercheur en sciences sociales. Selon lui, il faut d’abord « se questionner sur la marchandise que vendent les commerçants. A-t-elle été nouvellement acquise ou s'agit-il de l'ancienne marchandise acquise à l'ancien taux ? », demande-t-il.

Et de poursuivre : 

« Le commerçant qui ne veut surtout pas faire de pertes attendra d'acheter en dollars au taux actuel (qui a baissé) avant de penser à baisser les prix de ses biens ».

Il estime par ailleurs que la baisse du prix des biens et services ne peut pas être instantanée à la baisse du taux de change, parce que « les prix des biens et services et le taux de change, sont des variables dépendantes. La variation de l'une entraîner celle de l'autre dans un rythme non instantané, car les prix et le taux de change sont liés aux comportements humains ».

Aussi, les commerçants censés baisser les prix des biens au rythme du taux de change sont confrontés à une économie qui « traverse une période d'instabilité causée par les fluctuations du taux de change ».

« Ainsi, pour éviter de faire des pertes (les écarts de variation), les prix pourront baisser mais dans un rythme plus tardif que celui du taux de change », explique Christian Lukombo.

Le gouvernement appelé à l’aide

La population s’en remet au gouvernement pour la réduction de la cherté de la vie. La voix est unanime.

« Il faut que le gouvernement s’implique. Quand il dit qu’il y a baisse du taux de change, il faut qu’il fasse un suivi pour savoir ceux qui appliquent le vrai taux ou le mauvais taux. Cela pourrait entraîner la baisse des prix des biens », lance Déborah Kabamba, une jeune femme qui s’approvisionnait en biens de première nécessité à Zando.

« Le gouvernement doit se dresser contre les gens qui ne baissent pas les prix sur le marché », ajoute pour sa part madame Nsamba, vendeuse d'habits de friperie.

Le gouvernement rassure de son côté. Lors de sa prise de fonctions le 4 août dernier, André Wameso, l'actuel gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC) s’était engagé à revaloriser et à renouveler la confiance des Congolais dans leur monnaie, le franc congolais. C’est dans cette optique que la BCC a récemment injecté 50 millions de dollars sur le marché bancaire pour soutenir le franc congolais et réduire la pression sur le taux de change.

Cette opération s'inscrit dans une série d'actions visant à stabiliser la monnaie nationale et à renforcer la confiance des acteurs économiques.

Bruno Nsaka

 

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